Un mandat de huit ans, des pouvoirs immenses, et pourtant aucun droit à la reconduction : la présidence de la Banque centrale européenne se joue sur un fil, entre continuité stratégique et ruptures assumées. Mario Draghi s’en va en 2019, laissant derrière lui une BCE remodelée par des choix radicaux face à la tempête économique. Christine Lagarde prend le relai, avec un parcours qui détonne dans ce cénacle d’experts monétaires, au moment même où l’Europe s’embourbe dans la recherche de stabilité et de croissance.
Le passage de témoin à la BCE : un moment clé pour l’Europe
À la Banque centrale européenne, chaque transition de pouvoir fait date. Le départ de Mario Draghi, en 2019, vient clore une séquence qui aura pesé sur toute la zone euro. Huit années marquées par des décisions audacieuses, au terme desquelles Christine Lagarde s’impose comme la première femme à la tête de l’institution. Ancienne directrice du FMI, elle débarque sans être issue du sérail des banquiers centraux, un signal fort envoyé par le Conseil européen. Ce choix ne relève pas du hasard : il reflète une volonté affichée de renouveler l’approche, tout en gardant le cap de la continuité.
Le rituel de la remise de la clochette dorée, emblème du pouvoir monétaire, va bien au-delà de l’anecdote. Il s’agit d’assurer que l’institution reste solide, alors même que l’Europe se débat encore avec ses propres vulnérabilités, ses divergences budgétaires et les crispations sociales qui en découlent. Lagarde reçoit un mandat de huit ans, avec pour mission de piloter la BCE à travers un contexte où les outils traditionnels restent figés à l’échelle européenne.
Pour illustrer ce tournant, deux figures majeures se succèdent :
- Mario Draghi : en poste de 2011 à 2019, il a orchestré la sauvegarde de l’euro au plus fort de la crise.
- Christine Lagarde : nommée par le Conseil européen, elle devient la première femme à présider la BCE.
Ce passage de relais n’est pas anodin. Il met à l’épreuve la capacité de l’Europe à préserver sa souveraineté sur la monnaie unique. Le style direct de Lagarde, son art du dialogue avec les chefs d’État et sa volonté de sortir la BCE de son entre-soi, replacent la présidence de l’institution au cœur des débats sur l’avenir du continent.
Mario Draghi, architecte de la stabilité monétaire
Pendant des années, la zone euro a tangué sous la pression de la crise des dettes souveraines. Au centre de ce tumulte : Mario Draghi. De 2011 à 2019, il incarne la résilience de la BCE face aux marchés et aux doutes internes. Il restera dans l’histoire pour ses mots tranchants : « Whatever it takes », une promesse, en juillet 2012, que l’euro ne serait pas abandonné, alors même que la monnaie unique semblait au bord du gouffre.
Sous sa direction, la BCE expérimente des outils inédits : le programme OMT (Outright Monetary Transactions), le lancement du Quantitative Easing. Des mesures qui apaisent les marchés et évitent l’éclatement de la zone euro. Draghi maintient des taux d’intérêt très bas, au prix de critiques venues notamment d’Allemagne et des Pays-Bas, inquiets pour l’épargne de leurs citoyens ou les risques de bulles financières.
La gestion de la situation grecque en est un exemple concret : alors que la Grèce vacille, la BCE de Draghi empêche l’effondrement de son système bancaire, écartant ainsi le spectre d’une sortie de la zone euro. Angela Merkel ou Wolfgang Schäuble n’hésitent pas à pointer les dangers supposés de cette politique, tandis qu’Emmanuel Macron, entre autres, salue la détermination de Draghi. À la fin de son mandat, la fonction de président de la BCE s’est muée en rempart de la stabilité et de la confiance pour toute l’Europe.
Quels défis attendent Christine Lagarde à la tête de la BCE ?
Christine Lagarde arrive à un moment charnière. Elle récupère une BCE marquée par les cicatrices des crises passées et une défiance toujours présente entre les États membres. Première femme à occuper ce poste, elle doit composer avec un conseil des gouverneurs où s’affrontent visions conservatrices et attentes de souplesse. Les débats ne se limitent plus aux taux d’intérêt ou au rachat d’actifs ; l’enjeu devient la cohésion même de la zone euro, alors que les disparités économiques et sociales s’accentuent.
Forte de son passage au Fonds monétaire international et au ministère de l’Économie en France, Lagarde veut ouvrir la BCE à de nouveaux défis. Elle souhaite transformer la communication de l’institution, apaiser les tensions internes, avancer sur l’égalité femmes-hommes et positionner la BCE sur la question du changement climatique. Elle insiste aussi sur la nécessité d’une meilleure coordination budgétaire. Son message à l’Allemagne et aux Pays-Bas : investir davantage pour relancer la croissance sur le continent. Mais la marge de manœuvre reste mince, car la politique monétaire s’applique uniformément à 19 économies très différentes.
La gestion des attentes s’annonce complexe. Avec une inflation qui peine à décoller, une croissance timide et un chômage qui reste élevé dans plusieurs pays, Lagarde doit faire passer un message clair : la BCE n’a pas toutes les cartes en main. Elle rappelle que la relance dépend aussi des gouvernements, invités à s’engager pour soutenir l’ensemble de la zone euro. Le défi est de taille : chaque mot et chaque décision pèseront sur le futur de l’union monétaire, à l’heure où son équilibre reste précaire.
Ce que ce changement implique pour la politique économique européenne
Le relais entre Mario Draghi et Christine Lagarde marque une nouvelle page pour la Banque centrale européenne. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la croissance de la zone euro plafonne à 1,2 % en 2019, l’inflation stagne autour de 1 %, et le chômage touche 7,5 % de la population active. Dans ces conditions, la BCE doit composer avec une économie qui s’essouffle.
La gestion centralisée de la politique monétaire atteint ses limites. Les outils de la BCE ne peuvent être adaptés à la situation de chaque pays. Résultat : les écarts se creusent. L’Allemagne et les Pays-Bas, avec leurs excédents budgétaires, hésitent à relancer l’investissement. À l’opposé, d’autres États, confrontés à la stagnation ou à la dette, attendent une impulsion collective. Dans ce contexte, Lagarde multiplie les appels à Berlin et La Haye pour qu’ils soutiennent plus activement la croissance à l’échelle européenne.
La Commission européenne, menée par Ursula von der Leyen, partage ce diagnostic. Le dialogue entre Francfort et Bruxelles prend de l’ampleur, car il devient évident que la BCE ne peut plus porter seule le poids de la relance. Il s’agit désormais de repenser la coordination entre politiques monétaire et budgétaire, de bâtir des réponses communes face aux chocs économiques, et de raviver une dynamique collective au sein de la zone euro.
Le visage de la BCE change, mais le défi reste entier : bâtir une Europe capable de tenir le cap, même quand le vent tourne. La prochaine page s’écrira à plusieurs mains, dans l’urgence d’un équilibre à réinventer.
